L’organisation du temps de travail : prise de tête ou levier ? Technique, longtemps confiné au huit clos du dialogue social, trop souvent abordé sous l’angle de la négociation et de la législation… L’organisation du temps de travail est bien souvent le résultat de compromis insatisfaisants tant pour les salariés – dont les contraintes individuelles ne peuvent être prises en compte dans un accord qui s’applique de la même manière à tous – que pour l’employeur, qui peine à s’adapter aux attentes d’immédiateté et de disponibilité permanente des clients.
Cet article entend apporter une lumière nouvelle sur le sujet de l’organisation du temps de travail, pour identifier derrière l’apparente technicité du sujet, des leviers de performance, de qualité de vie au travail et de transformation culturelle.
L’organisation du temps de travail, grande oubliée des transformations des modes de travail
Certains sujets d’organisation du travail comme le télétravail ou l’agilité, moins sensibles socialement et davantage dans l’air du temps, ont pris le dessus médiatique et apportent des leviers significatifs de performance et de qualité de vie au travail.
Le temps de travail semble être resté au siècle dernier et nombre d’accords datent encore de la loi Aubry : plages fixes, plannings centralisés, organisation en trois huit sur les lignes de production, un travail le soir et le week-end bien souvent imposé et fortement régulé.
Le décalage entre les aspirations des salariés – vers plus de flexibilité et de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle – et les carcans de l’organisation du temps de travail pousse de plus en plus les salariés vers l’entrepreneuriat et le travail en freelance. On parle d’une génération de slashers, ces travailleurs qui cumulent plusieurs activités, salariées ou non. Cette nouvelle donne pousse les entreprises à innover, en proposant du temps partiel à la carte, du travail nomade, des congés sabbatiques, essayant tant bien que mal de satisfaire des travailleurs en quête d’autonomie et d’une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.
Mais ces initiatives restent la partie émergée de l’iceberg et restent le privilège des cadres autonomes au forfait jour. Que faire pour les millions de salariés au décompte horaire en France ? Comment apporter de la flexibilité sur des chaînes de production ?
Autogestion des plannings : un levier insoupçonné de performance et de qualité de vie au travail
Au-delà des alinéas du code du travail et des règles de planification sommeille un levier considérable de souplesse organisationnelle, de performance et d’épanouissement des collaborateurs : l’autopositionnement. Cette organisation du temps de travail implique de supprimer entièrement les plages horaires fixes et propose aux salariés se positionner sur des plages horaires souvent plus larges, définies à partir des besoins de l’entreprise : horaires de bureau étendus, soirs, week-end. Tout en respectant le temps de travail hebdomadaire. Des « bourses d’échange » permettent aux salariés de s’échanger des créneaux pour une autogestion des plannings et le remplacement des absences peut également être autogéré.
Ainsi, en travaillant 10 heures le lundi si c’est la journée la plus dense en termes d’activité, le collaborateur peut n’en travailler que 6 le mardi pour se consacrer à une activité associative. En répondant sur le chat à aux clients tard le soir en télétravail, il peut se consacrer à la natation le matin tout en apportant une valeur ajoutée à l’entreprise. En s’absentant brièvement dans l’après-midi pour un RDV médical, il évite de poser une journée de congé qui pénaliserait l’activité.
On dépasse les idées reçues et profondément ancrées qu’un collaborateur ne peut pas vouloir travailler tard le soir, ou le week-end, qu’une semaine doit toujours faire 35h et qu’une journée fait toujours le même nombre d’heures ou qu’une autogestion des plannings ne peut aboutir qu’au chaos. Les nouvelles organisations du temps de travail sont au service d’un triptyque gagnant-gagnant : une meilleure réponse aux besoins de clients de plus en plus exigeants, une certaine prise en compte des aspirations et contraintes des salariés, et une performance accrue de l’entreprise.
A titre d’exemple, la suppression des plages fixes et l’autopositionnement mis en œuvre dans certaines caisses de la Sécurité Sociale ont réduit l’absentéisme de près de 30% dans certains cas.
Ces démarches d’assouplissement des organisations du temps de travail ont l’avantage considérable de permettre de faire mieux avec tout autant, de s’adapter plus vite aux aléas de l’activité sans faire appel à des extras. En répondant mieux aux contraintes personnelles des salariés, cela permet également de réduire l’absentéisme et le turn-over.
La co-construction et l’accompagnement pour lier autonomie et responsabilisation
Suivre ces exemples implique de sortir des sentiers balisés du dialogue social. Cela implique de descendre sur le terrain pour trouver des solutions innovantes à des problématiques locales, de co-construire avec les métiers et d’ouvrir la culture managériale vers plus d’autonomie, de confiance et de souplesse. Cela demande du temps et de l’accompagnement, mais aussi d’accepter d’expérimenter et d’avancer de manière itérative.
L’accompagnement au changement devient alors tout aussi important que la maîtrise juridique du sujet. Dans une organisation du travail flexible, le manager devient le communiquant des règles du jeu, le porteur de sens pour que ses équipes aient toujours à l’esprit les besoins et contraintes de l’entreprise, l’arbitre qui a le courage de trancher et de rappeler les règles du jeu.